Supercars de Légende : Jaguar XJ220, rapide même sans V12 !
Certains constructeurs se sont autorisés quelques excentricités, qui vont au-delà de la simple voiture de sport. Cumulant tous les superlatifs, ces véhicules héritèrent d’un patronyme : les Supercars. Démesurées, surpuissantes, excentriques, rapides, spectaculaires, rien ne les rend utilisables au quotidien. Et pourtant, elles ont fait rêver d’innombrables gamins… ou propriétaires envieux de passer au stade supérieur. Voici l’histoire de l’incroyable Jaguar XJ220.
Texte : Gaël Angleviel / Images : Jaguar / Silverstone Auctions
XJ220, pour relancer Jaguar sur les rails
La création de Jaguar remonte à 1922, le constructeur britannique s’est taillé une réputation dans les voitures de luxe et de prestige. Néanmoins, cela n’a pas empêché la marque britannique de briller en compétition, notamment aux 24 Heures du Mans. Mais, lorsque on occupe une niche d’un marché automobile, il est difficile de pérenniser son activité. Quand on vend des véhicules plus chers que la concurrence, et beaucoup moins pratiques, certaines périodes deviennent difficiles. Il suffit d’un conflit mondial, d’une crise pétrolière sans précédent, et rapidement le modèle économique vacille. C’est ce à quoi Jaguar devra survivre, si bien, que plusieurs fois, on crut le constructeur perdu.
Et ces hauts et ces bas de la vie du constructeur donnera indirectement la naissance du projet de la XJ220. Car, au début des années 80, le PDG d’alors Sir John Egan, avait pour mission de prouver que Jaguar pouvait produire en toute indépendance. Le professeur Jim Randle (ancien directeur de l’ingénierie chez Jaguar) raconte alors la génèse de cette XJ220. Jaguar sera privatisée en août 1984, à partir de là, il fallait un plan produit qui n’existait pas encore. Selon les mots de Randle, cela signifiait que « vendre le rêve devenait plus important que vendre le produit. » Jaguar devait retrouver son lustre d’antan, il fallait à nouveau des modèles comme la XJ40.
Jaguar devait retrouver sa fierté. Il fallait plus que de nouveaux modèles comme la XJ40. C’est alors que Tom Walkinshaw est intervenu, convainquant le conseil d’administration qu’il pouvait remporter le championnat ETCC. Avec la XJ-S, en 1983, il l’a fait. Les employés ont adoré. Plus tard, il ferait de même au Mans. Mais Randle avait une autre idée : produire une supercar de route conçue pour courir dans le nouveau championnat du Groupe B, alors en discussion par la FIA.
L’âme de la course bat toujours chez Jaguar
Jim Randle se souvient de comment l’histoire a commencé. « J’ai passé Noël 1987 à réfléchir à ce que nous pouvions faire, et j’ai fini par créer un modèle en CAD, que j’ai toujours. » Randle précise que CAD signifie Cardboard-Aided Design (Conception assistée par carton). Puis le modèle est transmis au département du design avec une consigne simple : il faut que ça ressemble à la XJ13. Randle rédige une note interne : des volontaires sont demandés pour travailler sur leur temps libre. Le projet est une supercar, douze personnes s’inscrivent. Ils formeront alors « le club du samedi » permettant à Randle de concrétiser son projet, sans aucun budget.
Rapidement, l’envie était de produire une supercar capable de battre la concurrence. A cette époque, sans aucun palmarès de course, un chiffre parlait plus que tout : la vitesse maximale. Un cap fut ciblé, pas celui des 200 mph (320 km/h), mais plutôt celui des 220 mph (354 km/h). « Ainsi, le nom de XJ220 fut rapidement choisi pour ce projet. C’était 40 ans après que la XK120 ait atteint 120 mph. C’était une voiture de Bill Heynes, et Norman Dewis (légende du développement) nous a dit : ‘Rendez hommage à Bill' » se souvient Randle.
Le projet n’était pas une simple intention sur le papier, mais un vrai défi technique pour l’époque comme le rappelle Randle. « C’était intentionnellement complexe : quatre roues motrices, direction aux roues arrière, aérodynamique variable pour pouvoir ‘l’emmener jusqu’à la compétition’, bien que, étant une voiture à appui aérodynamique, elle aurait dû être abaissée de quelques centimètres par rapport à sa configuration routière. L’aérodynamique devait produire 1 360 kg d’appui à 220 mph. Mais quels pneus pouvaient supporter de telles forces ? Cela est resté un problème tout au long du programme. »
Premières entorses au cahier des charges
« Le moteur V12 a été initialement conçu par Walter Hassan dans les années 1960. Il a été développé avec Cosworth et a couru en 1986 » confie Randle. « Mais une étude de voiture de route a découvert qu’il était puissant, mais peu économique. Il n’est pas resté en production, mais nous avons pu subtiliser l’un des cinq moteurs de développement pour notre concept. » Ils ‘agissait quand même d’un V12 de 6,2l pour 700 ch avec un arbre de transmission traversant le V ouvert du moteur.
Quant au design, s’inspirer de la XJ13 était toujours au programme. Malgré des contraintes d’un design qui devait répondre à une règlementation du Groupe B, alors visé. L’inspiration était de lui donner une forme pour qu’elle est l’air rapide, même à l’arrêt. C’était une forme dictée par l’aérodynamisme. « Je ne voulais pas de surfaces ondulées ou de lignes de caractère, mais des formes qui avaient du sens » déclarera Keith Helfet en charge du design. D’autant que Jaguar n’avait pas les moyens de réaliser un modèle à grande échelle. Donc tout a été fait à l’échelle un quart, il a été testé et affiné dans le nouveau tunnel aérodynamique de MIRA. Ce modèle deviendra donc le produit final.
Même avec un design si complexe, Keith Helfet se sentait coupable de la complexité du travail donné aux ingénieurs. Mais au contraire, ces derniers déclarèrent qu’il s’agissait du moment le plus fort de leur carrière. Jamais ils n’avaient été poussés à leurs limites.
Le projet avance dans l’inconnu
Ainsi, dix mois après le début du projet, l’équipe de 12 personnes présente la voiture dans un shooting photo. C’était au salon automobile de NEC en 1988 (National Exhibition Centre à Birmingham), qu’ils ont rejoint par la route avec la voiture. Ils firent le déplacement à 03h00 du matin, le jour même de l’ouverture du salon. Sur place, la voiture va rencontrer un énorme succès populaire. Si bien, que la Ferrari F40 exposée juste à côté ne vas pas attirer les regards. Pourtant, Ferrari sortira le grand jeu, en invitant un top model à s’exhiber autour de la belle italienne, jusqu’à se déshabiller… en vain ! Rapidement, 90 000 personnes supplémentaires visitent le salon de Birmingham juste pour la voir, la XJ220 fit sensation.
C’est ainsi que le conseil d’administration ne tarda pas à prendre la décision audacieuse : feu vert pour ce projet. L’objectif était un lancement pour l’année 1992, seulement trois ans plus tard. Quel moteur au final sous le capot ? Le V6 de la Metro 6R4, un V8 Rover raccourci dont le design avait été vendu à TWR. Ce dernier d’une cylindrée de 3,5l développait 550 ch et 644 Nm de couple. Le choix de ce bloc était évident, ayant des antécédents en compétition (dans les voitures du Groupe C), il était puissant et léger. Bien que cela ne corresponde pas à la promesse du V12, il était idéal. Si la Porsche 959 pouvait se contenter d’un six cylindres turbo, alors pourquoi pas Jaguar ?
Quant à la transmission intégrale, elle était lourde, complexe et inutile : elle a été abandonnée. Les roues arrière directrices, la suspension réglable en hauteur et l’aérodynamisme actif ont suivi le même chemin. Toutes ces décisions sur des critères d’ingénierie solides qui ont permis de créer une voiture plus légère et plus rapide. Ce qui n’aurait pas été possible autrement.
Bien avant Photoshop !
Exit le V12, il n’était plus utile de conserver une telle longueur. Bien avant l’ère de Photoshop, les ingénieurs ont « coupé et ajusté » des tirages photos pour obtenir leur nouvelles proportions. Helfet savait que la voiture devrait rétrécir et l’installation du V6 le permettait. « J’aurais aimé qu’elle soit encore plus courte, mais Tom Walkinshaw (TWR) n’en voulait pas. » Des ouvertures plus grandes pour les intercoolers du turbo ont été créées, mais le capot moteur en verre inspiré de la XJ13 a été conservé. D’ailleurs tout comme presque tout le reste du concept de la voiture. C’est assez remarquable que le concept entre finalement en production, car ce n’était pas le but initial.
La production a cessé en 1994, après la fabrication de 281 voitures sur les 350 prévues. Et ce, dans l’indifférence générale. Oui, car l’histoire n’est pas tendre avec la XJ220. Pourtant, avec 343 km/h à son palmarès (sur le circuit ovale de Nardò en Italie), elle fut la voiture la plus rapide du monde. Et ce malgré un développement avec des moyens limités et dans un temps record. La récession, la déception liée à l’absence de V12, les procès intentés par des propriétaires mécontents, tout cela a terni ce qui est pourtant une réalisation assez remarquable. La XJ220 reste l’un des accomplissements les plus incroyables de la marque Jaguar. Aujourd’hui encore, quand on évoqué une supercar, on pense à la belle anglaise.